C'EST EN 2009 QUE LE
CRÉATEUR DE HELLBOY SIGNE UN DESSIN OÙ IRON MAN,
SUPER HÉROS
CONTEMPORAIN, CÔTOIE
UN AUTRE HOMME DE FER QUI CELUI-LÀ SEMBLE VENIR TOUT DROIT DU MOYEN ÂGE SINON D'UNE MYTHOLOGIE ANCIENNE. MAIS CET ANACHRONISME
SAISISSANT - ET QUE LE DESSINATEUR, ON LE SAIT, AFFECTIONNE TOUT PARTICULIÈREMENT
-, N'EST PAS L'UNIQUE PARADOXE QUI RETIENT NOTRE REGARD.
C'est
à Marvel, autrement dit l'éditeur, que le personnage de Tony Stark appartient,
avec ou sans son armure métallique, et ce quels que soient les dessinateurs et
scénaristes qui s'en empareront de 1963 à nos jours. C'est l'auteur, tout au
contraire, qui possède les droits de ses protagonistes dans le Mignolaverse.
Une différence de taille, qui fut le centre de bien des négociations,
d'engagements et de séparations voire de dissidences dans l'Histoire des
comics. Un héros du mainstream dans l'univers de creator-owned de Hellboy,
c'est bien cette contradiction qui est là, sous nos yeux, et qui jaillit des
formes hachées et des noirs et blancs sans concession qui font le style de la
maturité du dessinateur. Une étrangeté qui, étonnamment, permet de mieux saisir
la spécificité graphique de Mike Mignola.
BAROQUE, VOUS AVEZ DIT
BAROQUE ?
Bien entendu, la représentation
du mouvement, cruciale dans cette illustration, n'est pas spécifique au
dessinateur et se retrouve dans la bande dessinée en général et les comics en
particulier. Bien sûr, les lignes de force obliques qui se substituent aux
horizontales et aux verticales (ici un « S » anguleux et bien net),
ne sont pas plus propres à l'auteur et investissent les planches de bien des
récits super-héroïques. Mais si on ajoute à ces deux éléments l'utilisation
systématique et virtuose du clair-obscur cher au pinceau sans compromis de
Mike, on ne peut que penser à ce courant pictural du XVIème siècle dont ces
trois particularités sont symptomatiques: le Baroque. Et, on le sait
également, les thèmes traités par les peintres baroques étaient le plus souvent
empruntés aux légendes et autres mythologies. Alors, oui, définitivement, l'art
de Mignola est bien l'héritier séquentiel de cette peinture là . Une peinture
qui, ne l'oublions pas, se définit aussi par le refus et la négation de valeurs
antérieures.
RUPTURE, VOUS AVEZ DIT
RUPTURE ?
La lumière contrastée, les
diagonales directrices, la recherche obstinée du mouvement, l'emprunt aux
contes bibliques ou légendaires sont autant de fractures avec l'art figé et
radieux de la Renaissance où la perspective monofocale (point de fuite unique
et central) définit tout l'espace de scènes antiques. Oui, le Baroque est bel
et bien une rupture profonde et marquée. Or, c'est une autre rupture qui,
faisant écho plusieurs siècles plus tard à celle-là, se joue dans le dessin de
Mignola. L'artiste, en effet, après avoir travaillé en studio comme encreur
puis, en indépendant pour le mainstream sur les plus iconiques de ses
personnages, rompra avec ce système en créant en 1994 un héros dont les droits
lui reviendront. Suivront de nombreux spin-off (et d'autres héros) qui peu à
peu construiront un univers qui ne dépend que de lui en tant qu'auteur, là où
Iron Man, nous l'avons dit, appartient à son éditeur. Ce dessin fascinant
semble donc exprimer dans ses motifs un divorce moderne (mainstream et
creator-owned) qui fait écho dans son style à une séparation célèbre de
l'histoire de l'art (Renaissance et Baroque). Un détail, du reste, dans la
composition de l'image, nous dit tout l'engagement que Mike revendique ici.
LA PIERRE D'ANGLE
Munissons-nous d'une règle.
Traçons une ligne qui prolonge la lance du chevalier. Tirons un trait qui passe
par la tête d'Iron Man et sa jambe tendue. Visualisons la droite qui aligne la
main d'un personnage secondaire, celle de Tony Stark et de son genou gauche.
Les trois axes conduisent à un seul objet: une pierre qui sort du cadre. Une
pierre? Un caillou? Ce serait vers un trivial morceau de roche que nous
dirigent les principales lignes de force de ce dessin? A moins que ce ne soit
vers le petit rectangle qui superpose le caillou et dans lequel s'inscrit la
signature de Mignola... Voilà qui ferait sens. Cette signature qui se tient
au-dessus du caillou (qui lui-même sort de l'image), est en effet l'élément qui
survole l'ensemble, autant dire la composante discrète mais essentielle,
pudique mais primordiale et que nous
devons garder à l'esprit: la marque de l'auteur.
Bernard Dato
sacrée analyse ! B.Dato nous fait observer des rouages de l'Univers par le trou d'une serrure !
RépondreSupprimerBravos Bernard !
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