DE NOMBREUX DESSINATEURS DE
TALENT RECRUTES DANS LE HELLVERSE ONT SU, EN DISCIPLES RESPECTUEUX ET SANS
PERDRE POUR AUTANT LEUR IDENTITÉ D’ARTISTE, PLONGER LEURS PINCEAUX DANS
L’ENCRIER DU MAÎTRE ET S’IL EN EST UN PARMI EUX QUI AYANT JUDICIEUSEMENT
ADAPTE SON STYLE PROPRE AUX AMBIANCES ESOTERIQUES ET SOMBRES DE MIGNOLA A FAIT L'UNANIMITÉ IMMÉDIATE DES LECTEURS, C’EST BIEN DUNCAN FEGREDO. UNANIMITÉ PARTAGÉE A TEL POINT QUE LE RETOUR POURTANT TRÈS ATTENDU DE MIKE AU DESSIN,
DANS « HELLBOY IN HELL », A PROVOQUE LA POLÉMIQUE CERTAINS FANS
ALLANT JUSQU’A QUALIFIER L’ÉPURE SANS CESSE POUSSÉE PLUS LOIN DU CRÉATEUR DE
TRAVAIL BÂCLÉ ET CE AU REGARD DE L'EXÉCUTION SOIGNÉE DE FEGREDO DURANT CES DERNIÈRES ANNÉES. ALORS, LE MAÎTRE DÉPASSÉ PAR LE DISCIPLE ?
Le
récit mignolien use régulièrement du mode « répétitif » (procédé -
comme son nom le laisse supposer - qui consiste à raconter plusieurs fois ce qui s’est passé une seule fois). Cette caractéristique narratologique sert tout
particulièrement le dessein d’un auteur dont l’ambition ne se résume pas à
livrer une suite d’histoires de qualité, mais bien à créer un univers
foisonnant et aux multiples ramifications et néanmoins cohérent et homogène. Un
tel projet, cette cohérence, cette homogénéité, nécessitent des scènes, voire
des plans clés, qui, repris maintes fois dans des contextes différents (sous
forme de flashbacks notamment), éclaireront l’action présente ou seront
eux-mêmes éclaircis et enrichis d’un sens nouveau. Ainsi la dague ensanglantée
tombant bruyamment sur un sol entouré de ténèbres. Ainsi l’annonce faite à Kate
par un Hellboy mélancolique et en quête de sens, de son départ du B.P.R.D. pour
l’Afrique, dans un décor montagneux et grandiose. Une mythologie aussi éclatée
que le mignolaverse a besoin de repères fondateurs récurrents qui fondent
l’unité de l’ensemble. Et l’un deux, justement, va servir notre propos puisque
la case 3 de la planche 16 de Hellboy in
Hell # 3 reprend à l’identique – si ce n’est un cadrage légèrement plus
serré -, la dernière case de la page 101 de La Grande Battue. La première est dessinée par Mignola, la seconde
par Fegredo. On y voit un Hellboy en piteux état et au regard dubitatif, bras
et main droite du diable ballant par-dessus un mur de pierres qu’il vient
d’endommager - alors qu’un Duc des Enfers géant et en armure, aux cornes
orbitales en place des yeux et farouche gardien du pont l’a violemment frappé
-, et qui demande conseil à un des petits démons qui volètent dans les flammes
tout autour du château. L’occasion attendue et rêvée, pour nous, de comparer le
travail des deux artistes.
LE RÉGIME DUNCAN
Posons au préalable quelques
définitions qui pour être arbitraires nous permettrons toutefois de mieux
cerner les différences entre nos deux dessinateurs. Posons tout d’abord qu’une
image figurative a pour visée de
reproduire le plus fidèlement possible une partie précise d’un réel observable
(un personnage particulier - humain ou animal -, un paysage singulier, un objet
unique, etc.). Elle va pour cela convoquer toutes les techniques de lumière, de
modelé ou de perspectives propres à donner l’illusion du réel. Posons ensuite
qu’une image iconique représente
quant à elle un ensemble d’objets, qu’elle en est en quelque sorte le symbole
(l’avion sur un panneau signalant un aéroport, le bonhomme vert indiquant au
piéton qu’il peut traverser, le personnage sur fauteuil roulant désignant sur
une porte les toilettes pour handicapés). Cette image sera considérablement
schématisée (un cerné ou une ombre chinoise simplifiés) afin de pouvoir évoquer
dans une forme ressemblante mais universelle tous les objets auxquels elle
renvoie. Posons enfin qu’une image abstraite
ne ressemble en rien à une partie du réel connu, ne cherche tout du moins pas à
reproduire quoi que ce soit et que ses formes ou ses couleurs s’exposent pour
elles-mêmes uniquement, plaisir des lignes, des aplats ou des modelés en tant
que tels. Arbitraires, ces définitions, disions-nous, car les différences ne
sont pas catégorielles mais graduelles en vérité. Une image est plus ou moins
figurative, plus ou moins iconique ou plus ou moins abstraite si bien que les
frontières entre elles demeurent relativement et subjectivement poreuses.
Arbitraires, certes, mais voilà des codes qui nous permettrons de nous entendre
- par exemple -, sur le côté figuratif du dessin de Burne Hogarth (Tarzan), sur
l’allure iconique du trait de Hergé (Tintin) et sur la tendance abstraite de
certaines compositions de Frank Miller (Sin City). A présent que les choses
sont plus claires (car elles le sont, n’est-ce pas ?), penchons-nous sur
la vignette de Duncan Fegredo. La source de lumière vient du haut. Du haut et
de la gauche. Les ombres - toutes les ombres -, sont fort logiquement placées
en conséquence. Celles des blocs de la muraille, celles des cornes tronquées du
héros, celles de son nez, de son épaule, de sa main de pierre aux trois doigts.
Elles occupent sans exception la place réaliste qui leur est due. Quelques
poils sur l’épaule du héros rouge, quelques autres sur son avant-bras, les
séparations de chacun des blocs, leurs altérations, trous, fissures ou angles
cassés, tous ces détails sont minutieusement figurés uniformément dans le
cadre. Et donc, conformément aux principes que nous nous sommes au préalable
fixés, l’image de Fegredo relève assurément de la catégorie figurative. Une belle composition au
demeurant, dont l’expression d’hébétude impuissante du protagoniste est très justement
renforcée par une contre-plongée et une visée oblique. Suivront The Storm and the Fury, suivront de
multiples planches et d’innombrables cases, et enfin Hellboy in Hell. Et
enfin Mike Mignola qui reprend crayons et pinceaux. D’autres planches, d’autres
cases, et enfin le même plan reproduit par le maître. Et qu’en a-t-il donc
fait ?
LA MAGIE DE MIKE
Des cinq petits démons qui
au-dessus des flammes tournaient autour d’un Hellboy mal en point, il n’en
reste qu’un seul dans un cadrage qui s’est quelque peu resserré. Pour le reste,
rien n’a changé. La muraille partiellement démolie, le bras qui pend, et le
feu, et la poussière. La contre-plongée ainsi que la visée oblique, reproduites
également, sont toutefois moins prononcées. Voilà une première simplification
de la version de Duncan qui témoigne de la réticence bien connue de Mike à user
des effets ostentatoires. Un angle de vue exagéré peut donner une conscience aiguë, au spectateur, de la « caméra ». A l’opposé, une
contre-plongée ou une visée oblique à peine appuyées ne sont pas perçues comme
telles par le regard qui, de fait, ne perçoit pas la présence de cette caméra
virtuelle entre lui et la scène. Une simplification qui semblerait faciliter l’immersion
du spectateur dans la diégèse, là où
l’angle de vue trop accentuée créait une interface presque gênante entre le
monde réel du lecteur et l’univers fictionnel de Hellboy. Passons maintenant en
revue les divers éléments graphiques de l’image. Les blocs de la muraille sont,
comme chez Fegredo, ombrés et altérés avec un réalisme moins détaillé, certes,
mais tout aussi rationnel. Ils appartiennent, selon nos axiomes, au codage figuratif. La fameuse main
droite de l’enfer de notre héros, en revanche, ne possède aucune ombre. Seul un
contour schématique et au trait uniforme la représente, envers et contre toute
règle d’éclairage qui par ailleurs est appliquée, on l’a vu, aux blocs de
pierre du pont. Une main dont le style n’est pas sans rappeler l’épure stricte
de la ligne claire et qui nous fera classer cet élément de la composition dans
le codage iconique. Quant à l’ombre
qui part de la tête du personnage, recouvre tout son torse, traverse tout le
bras sans aucune interruption pour se terminer en une hachure très stylisée,
elle se détache de manière si peu réaliste que, prise à part, elle constitue
assurément un aplat de noir que le pinceau du dessinateur se régale d’étaler
d’un coup d’un seul en une forme qui vaut pour elle-même. Autrement dit, un codage abstrait. Une synthèse de tout
cela ?
LA DISCRÉTION DU GÉNIE
Oui, l’image de Duncan Fegredo
est belle. Oui, son trait est juste et son style affirmé. Oui, les détails sont
nombreux et l’ensemble homogène dans le même temps. Une vignette remarquable
dans la suite séquentielle, soignée, efficace, et qui procède toute entière du
codage figuratif. Et oui, celle de Mike Mignola est nettement plus
simplifiée. Oui, les détails sont moins nombreux. Oui, le trait est rapide et
plutôt grossier en comparaison. Et pourtant, nous l’avons décrypté, cette image
on ne peut plus modeste contient bel et bien trois niveaux picturaux différents. Une image humble en apparence
mais qui harmonise - avec une délicatesse qui nous dissimule l’exploit -, des
éléments à la fois figuratifs, iconiques et abstraits. Quelle
richesse de contenu. Quelle complexité de codage. Quelle profondeur pudique de
lecture que cela induit ! Il est clair que si le dessin de Mike semblait
bâclé auprès de la composition très aboutie de Duncan, il s’avère en fait bien
plus sophistiqué dans le tressage des codes et propose, mine de rien, une
grande multiplicité d’esthétiques au regard du lecteur. Voilà pourquoi si
Fegredo a prouvé son excellence, il n’en demeure pas moins que le maître dans
l’encrier duquel il faut encore et toujours tremper ses pinceaux si l’on désire
s’élever, demeure le génial et sobre Mignola.
Oui Bernard tu as raison mais je trouve que même si il reste un excellent dessinateur, il a tendance (par paresse ou manque de temps peut-être) à trop simplifier. Ça reste bien sur efficace mais laisse une impression de bâclage pas forcément méritée. Dieu sait qu'il faut une certaine maitrise pour cadrer de la sorte, poser une ambiance ...etc. Je reste sur le Mignola de Ironwolf, Batman steampunk ou du Cycle des épées. Le "nouveau" Mignola me déçoit quand même un peu...
RépondreSupprimerPoint de vue que je comprends parfaitement. Même moi, qui suis pourtant le fanboy par excellence qui pardonne tout (ou presque tout) à Mignola, j'ai poussé un "Yeu ?!" lorsque j'ai vu pour la première fois une planche preview de "Hellboy in Hell". A l'époque de "The Island" et "The Third Wish", j'me disais que Mignola avait atteint son seuil de tolérance dans la suppression de détails, et qu'il ne pouvait que stagner...que dalle, ouais lol
SupprimerEn dernier lieu c'est une question de goût. Je trouve aussi que Le Cycle des épées, Ironwolf et, surtout, le Batman steampunk, sont géniaux. Mais il a choisi d'évoluer dans le sens de l'épure et si c'est le figuratif qui te touche plus, forcément tu ne pourras apprécier autant. Lorsque Moebius était passé d'un modelé hachuré très poussé (Arzach, Major Fatal), à l'épure simplifiée de L'Incal, certains ne l'avaient pas suivi. Je voulais juste montrer que son trait plus schématique est cependant au service d'une image plus complexe qu'il n'y paraît car il joue sans arrêt sur le figuratif/iconique/abstrait. Après, chacun à le droit d'en apprécier plus ou moins les effets.
RépondreSupprimerMerci en tout cas d'avoir lu l'article Vinsymbol ;-)!
BD
Beau texte Bernard (le titre excellent:)!) et une analyse graphique à laquelle j'adhère et je plussoie : honneur à Mignola dont la composition vise la lisibilité immédiate (la ligne du mur soutient Hellboy et le ti diable,rythmée en contrepoint par le nuage de poussière, les murs brisés,les bras de l'acolyte et celui de notre cher cornu...et là dans ce très rapide jeu de plans obliques accrochés à la ligne du mur on lit naturellement ce que la main gauche surligne!).
RépondreSupprimerMaintenant que tu viens de te griller tout seul (comment t'aurais pas duuuuuuu XD), va peut-être falloir que j'pense à te soudoyer pour que tu viennes écrire des p'tits billets analytiques sur le Hellboyverse XD
Supprimerhihihihhihikohofkokohofkof :)))) (bon vérifie tes mails y a un cadeau inside :)))
RépondreSupprimerhihihihihihihihi, j'adore les cadeauuuuuuux XD
SupprimerMerci, Paul, de compléter mon analyse qui portait sur le codage graphique, par une synthèse portant sur la composition (que je plussoie également ;-)!).
RépondreSupprimerBon, allez, les amis, Panatrog, Vinsymbol, Paul Marcel, Duncan et Mike, Hellboy et tout le B.P.R.D., on va tous se faire une bouffe chez Lobster Johnson, c'est lui qui régale, ça vous dit? Homard à l'aquarelle au menu! Attendez... (Allo? Oui? Ah c'est toi! Très bien, merci. Heu, oui, why not? Attends, je pose la question, reste en ligne), les gars, Richard Corben demande s'il peut venir?
BD
Oh non, pas lui; la dernière fois qu'il est venu, il a vidé le frigo et a laissé les chiottes dans un état plus que...eurk, rien que d'y penser, j'en ai la gerbe. Nan, dis lui qu'on peut pas, qu'on devra aller chercher Tonci Zonjic à la gare et qu'on aura pas le temps.
SupprimerDu homard version Mignola, du Meursault charmes 89 de chez Lafon et Corben... le rêve (John c'est mal ce que tu dis sur mon cher Richard, troooopp maaaalll :)) ).
RépondreSupprimerMaiiiiis euuuuh...
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