mercredi 19 septembre 2012

Lobster Johnson, la banquette arrière du récit.


RÔLE SECONDAIRE APPARU DANS HELLBOY : CONQUEROR WORM, PROTAGONISTE ÉPISODIQUE ET INSAISISSABLE DES AVENTURES DU B.P.R.D., LE VIGILANTE A LA PINCE DE HOMARD ET AUX LUNETTES D'AVIATEUR-PREMIÈRE-GUERRE-MONDIALE POSSÈDE ENFIN SA SÉRIE PROPRE. AINSI, FAÇONNÉ ET ANIMÉ PAR LE CLAVIER A QUATRE MAINS DE MIKE MIGNOLA ET JOHN ARCUDI, RENDU VISIBLE ET DYNAMIQUE PAR LES CRAYONS ET PINCEAUX ÉLÉGANTS DE TONCI ZONJIC ET DONNÉ COMME TANGIBLE PAR L'INTELLIGENTE PALETTE DE COULEURS NUMÉRIQUES DE DAVE STEWART, LE SUPER-HÉROS AUX COLTS 45 EST LE PERSONNAGE PRINCIPAL DE LA GÉNIALE MINI-SÉRIE THE BURNING HAND. PRINCIPAL DISIONS-NOUS? À VOIR...

Vous êtes écrivain? Scénariste pour la télévision, le cinéma ou la bande-dessinée? Alors, sûrement, vous avez du entendre ce conseil avisé et pour autant de base: « si relisant votre histoire vous vous apercevez qu'un de vos personnages est plus intéressant que votre héros, alors empressez-vous de réécrire l'histoire ». Voilà qui semble logique. C'est bien celui qui attire le plus l'attention, par son épaisseur psychologique, sa richesse émotionnelle ou la force de son désir, qu'il faudra choisir pour véhiculer la thématique centrale, via son combat et sa révélation finale, faute de quoi l'intérêt du lecteur sera divisé et sa perception du sujet affaiblie. C'est celui-là qu'il faudra mettre au cœur du récit, celui-là dont il faudra approfondir l'humanité dans toutes ses nuances, celui-là qui affrontera l'adversité la plus redoutable afin d'en être métamorphosé. Et celui-là sera alors le vecteur qui transmettra un savoir émotionnel et sémantique nouveaux au lecteur qui, le temps de la narration, s'identifiera à lui. Relisons, à la lumière de cette raisonnable recommandation, les cinq épisodes de Lobster Johnson : The Burning Hand.

LA JOURNALISTE


Devons-nous mettre à jour le héros ? Cherchons donc l'adversaire. Cherchons LE malfaisant de l'histoire. Serait-ce Wald ce méchant principal ? Ce petit parrain mafieux est par trop ridicule et empoté pour mériter le titre. Serait-ce alors ce super-vilain à tête de mort et à flamme noire? Celui-ci au préalable présenté comme invincible, se révèle finalement fort vulnérable et de fait facilement  vaincu au bout du quatrième épisode, à savoir bien avant la fin. Non, l'adversaire le plus malveillant et dangereux est bien mr Isog, l'entremetteur, le corrompu qui présentera The Black Flame au malfrat local. Or, c'est Cindy Tynan qui le débusque et le capture. Cindy Tynan, fragile journaliste du Herald Tribune qui de victime passive et protégée par un Lobster Johnson monolithique, se fera investigatrice pertinente et engagée dans l'action, s'émancipant de son défenseur masqué et allant même jusqu'à créer la légende de ce dernier, sa révélation finale étant que le justicier n'est pas si efficace qu'il le croit et que la force véritable contre le mal est la presse écrite à laquelle elle appartient. C'est Cindy Tynan qui se transforme, Cindy Tynan qui dénoue l'intrigue, Cindy Tynan qui, elle seule, mène la barque de bout en bout et c'est son âpre bataille avec mr Isog qui transporte le thème central: la plume est plus forte que l'épée - ou, ici, la machine à écrire est plus puissante que le colt 45. Nous pourrions même aller jusqu'à penser que la main qui brûle le plus dans cette aventure, c'est bien la sienne, sur les touches incendiaires de sa machine portative. Mais alors, si c'est Cindy Tynan du Herald Tribune le personnage principal de la mini-série, Mignola et Arcudi auraient-ils dû revoir leur copie? Une copie qui nécessairement aurait dû s'intituler « Cindy Tynan, The Burning hand »? Oui mais voilà, les deux compères, loin de l'ignorer, semblent assumer totalement cette curieuse anomalie scénaristique. Explicitement ? Ce serait trop simple. Non, implicitement plutôt, et entre les cases. Entre deux cases de deux différentes histoires plus précisément.


LE MOTIF CACHÉ


Cherchons dans les cartons, sortons tous les albums ou comic books des aventures de Hellboy ou du B.P.R.D. où apparaît le vigilante aux lunettes oranges et tout de cuir vêtu, ajoutons les one-shots ou mini-séries arborant sa franchise, compulsons, examinons, comparons, relisons des passages, rapprochons des vignettes, revenons en arrière, c'est ça, voilà, c'est bien ça, nous les tenons. Nous tenons deux images dont la similitude ne pouvait que nous interpeller, d'autant qu'elles proviennent de B.P.R.D.: King of fear pour la première (planche 3, case 5), et de Lobster Johnson: The Burning Hand pour la seconde (planche 6, case 1), c'est à dire deux récits dont les dessinateurs sont différents. Toutes les deux sont de même dimension, de même format (rectangulaire et prenant   toute la largeur de la page) et, surtout, elles décrivent strictement la même scène selon le même cadrage: le super héros des années 30 et à la pince bleue assis sur la banquette arrière d'une voiture - conduite par Kate Corrigan (pour le dessin brossé par Guy Davis) et par mr Isog (pour  l'image dépeinte par Tonci Zonjic). Que Kate soit une amie et Isog un adversaire ne change rien à l'affaire: le motif, de toute évidence identique, est reproduit à dessein. Mignola et Arcudi nous le murmurent sans mot dire: Lobster Johnson ne conduit pas. Lorsque le fil narratif se déroule, que l'action va de l'avant et que l'intrigue est en mouvement, leur héros masqué se tient à l'arrière du véhicule narratif et c'est un autre personnage qui conduit. C'est dit, c'est clair, cela saute aux yeux du lecteur d'investigation, les deux scénaristes assument donc la surprenante structure de The Burning Hand qui fait de son protagoniste traditionnellement principal un personnage relativement secondaire. Mais si c'est assumé, c'est donc que ce n'est pas une erreur; mais si c'est reconnu, c'est donc que le procédé les sert. Et en effet. La carrure puissamment iconique du redresseur de torts implacable et armé, leur permet d'éclairer magistralement l'intrigue principale, c'est à dire le combat de Cindy Tynan contre mr Isog, ou, si l'on veut, la lutte du journalisme contre la corruption. 

Alors si vous êtes écrivain, scénariste pour la télévision, le cinéma ou la bande dessinée, sachez qu'il y a un cas qui vous permet de rendre un personnage plus intéressant que votre héros, c'est lorsque le schématisme lumineux de ce dernier permet de révéler toute la profonde complexité de l'autre.


Bernard Dato

1 commentaire:

  1. excellent ! encore une fois M.Dato nous éclaire les dessous de l'iceberg qui enflamment un récit!
    chapeau!
    Achille.

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