Avant-propos : Quatre éditions de Hellboy sont
proposées à la vente, comprenant respectivement un, deux ou trois DVD.
L'édition « deluxe » 3 DVD est également disponible au sein d'un coffret
« collector deluxe » (sic), dans lequel se trouvent également
une figurine de Hellboy et un carnet de 32 pages réalisé spécialement
pour l'occasion par Mike Mignola (le créateur du comic-book), « Le journal de Raspoutine
». Chaque supplément cité dans la suite de cette critique est
accompagné de la mention du disque sur lequel il se trouve. D'une
manière générale, l'intérêt de l'édition 2 DVD est sans comparaison avec
celui de l'édition simple (en raison surtout du making-of),
tandis que le troisième disque, plus fourre-tout, peut être laissé de
côté si vous ne comptez pas acheter le coffret « collector deluxe ».
Un mot sur l'appellation « director's cut » apposée fièrement
sur le boîtier : il s'agit en réalité de la version projetée dans les
salles françaises, plus longue de treize minutes que la version
américaine (qui devait durer moins de deux heures afin d'avoir une
séance de plus par jour). Le DVD ne propose donc rien de nouveau par
rapport à ce que l'on a vu au cinéma.
Il y a deux ans, les hasards de la programmation faisaient qu'à un
mois d'intervalle sortaient deux films réalisés par Guillermo Del Toro :
un blockbuster de commande terriblement efficace, Blade 2, et un film fantastique intimiste plus proche du cinéma d'auteur, L'échine du diable. Aussi réussis l'un que l'autre dans leur genre, ils révélaient un réalisateur au talent hétéroclite. Hellboy
est le film de la confirmation, qui permet à Del Toro de marcher sur
les traces de Steven Spielberg en tant que réalisateur de films
d'aventures hauts de gamme.
La comparaison n'est pas anodine. Sur le papier, l'univers de Hellboy se rapproche de celui de la saga Indiana Jones : un mélange de nazis, de sciences occultes et de légendes médiévales, remis au goût du jour par des clins d'il amusants à X-Files et aux Men in black
- Hellboy travaille au sein du BRPD, une agence gouvernementale
enquêtant sur le paranormal et dont les activités doivent rester
secrètes aux yeux du public. Comme dans les Indiana Jones, ce
scénario fourre-tout et digne d'un roman de gare est sublimé par le
talent du réalisateur, qui en tire un film d'aventures à couper le
souffle en mettant à contribution tout ce que le cinéma peut offrir.
Identité visuelle unique, mise en scène dynamique, intégration intelligente des effets spéciaux sont les principaux atouts de Hellboy,
qui sont à juste titre mis en avant dans les suppléments où ils sont
décortiqués jusque dans leurs moindres détails. Ainsi, ce ne sont pas
moins de 36 galeries de dessins et de photos préparatoires qui
vous attendent sur le DVD 3. L'exhaustivité est donc au rendez-vous,
tout comme l'originalité puisque ces galeries réservent plusieurs
surprises, au nombre desquelles un commentaire audio de Mike Mignola sur la section consacrée aux dessins qu'il a faits pour les décors et accessoires du film, le très fourni carnet de notes du réalisateur, et une série de représentations de Hellboy par différents dessinateurs américains (Frank Miller, l'auteur de Sin City
par exemple), qui chacun à leur tour s'approprient le démon cornu et
l'adaptent avec succès à leur style. Petit regret, l'interactivité qui
accompagne ces galeries n'est pas toujours très réussie : l'aspect
vieilli donné aux photos du tournage ne parvient qu'à les rendre floues, et l'impossibilité de zoomer sur le carnet de notes de Del Toro est quelque peu frustrante.
Les ateliers de production du troisième disque donnent vie à ces dessins figés. Tout d'abord au cours des tests de maquillage et de lumière,
qui exposent l'une des principales problématiques du film : parvenir à
recréer à l'écran l'esthétique particulière de la BD, et plus
prosaïquement réussir à filmer de manière correcte un personnage rouge
vif ! Le montage proposé présenté les différents essais réalisés en
pré-production, essais que Del Toro commente en expliquant clairement
les qualités et les défauts de chaque tentative, jusqu'à la décision
définitive.
L'autre partie des ateliers de production est consacrée aux effets
visuels. Des documents juxtaposés sans logique et trop succincts que
propose cette section, on retiendra surtout celui consacré à la
fabrication des maquettes, qui montre l'impressionnant degré de finition
de ces arrières-plans parfois à peine survolés par la caméra - vous
regarderez ainsi sûrement d'un autre oeil l'arrivée de Myers dans les
locaux souterrains du BRPD après avoir vu ce supplément.
Un autre point de la conception qui se voit décrit avec le plus grand soin est le story-board. Outre la peu pratique piste de story-boards
visionnable pendant la lecture du film (les cases dédiées aux
story-boards sont minuscules, et cette option a pour effet de désactiver
les sous-titres du film), une rubrique entière du DVD 2 y est dédiée : Le repaire de Kroenen. Celle-ci présente les trois étapes intermédiaires entre le scénario et le tournage : les story-boards, les story-boards animés et les story-boards animés avec intégration des modèles 3D.
Chaque section propose une courte introduction de Guillermo Del Toro,
qui explique le rôle de chacune des étapes, ainsi que plusieurs exemples
(quatre pour les story-boards et les animations 3D, cinq pour les
story-boards animés) comparant le story-board et la scène correspondante
dans le film définitif. L'intérêt va bien entendu en grandissant : si
les story-boards fixes s'avèrent très détaillés, ils prennent une toute
autre ampleur une fois mis en mouvement. Avec leur style visuel décalé
et leur découpage rythmé (et proche de celui que l'on retrouve dans le
film), ils se transforment en petits dessins-animés très plaisants à
suivre. Enfin, les story-boards avec intégration des modèles 3D sont les
plus instructifs. Les modèles 3D en question sont des versions
intermédiaires, sans textures, des images de synthèse prévues dans les
plans. En fonction de ces résultats intermédiaires, le réalisateur
décide d'alléger - ou au contraire d'augmenter - la quantité d'images de
synthèse à intégrer à la séquence ; des choix qui sont clairement
visibles dans les quatre scènes présentées, bien choisies et pour
lesquelles la mise en scène de la comparaison entre story-board et film
est très réussie.
Cette maîtrise technique sert de support à l'enthousiasme
communicatif de Del Toro. Il croit en son histoire et en ses personnages
avec une générosité et un premier degré confondants, qui balayent
toutes les réticences et emportent l'adhésion du spectateur dès la
magistrale séquence d'introduction. Ce ne sont donc pas des frissons de
honte, mais bien de plaisir qui parcourent l'échine du spectateur lors
des spectaculaires scènes d'action. Del Toro avait déjà démontré dans Mimic et Blade 2
son aisance à mettre en scène des combats physiques et percutants où la
présence d'effets spéciaux ne gêne en rien la fluidité et l'impact de
la scène. Les affrontements entre Hellboy et Sammael représentent
l'apothéose de cette démarche, puisque le réalisateur sait parfaitement
tirer parti de la physionomie démesurée des deux combattants et nous
offre une succession de duels de titans d'une violence et d'une
sauvagerie monstrueusement jouissives. La création de ces créatures et
des scènes de combat les opposant se retrouve dans les visites des
décors accessibles sur le DVD 1 au cours du visionnage du film ou bien
dans une section à part (La main droite maudite). Au nombre de
huit, ces petits modules sont plutôt réussis grâce à la pertinence du
choix des scènes couvertes (les plus impressionnantes du film, de la
séquence d'ouverture au combat dans la station de métro en passant par
la poursuite dans l'allée) et à l'efficacité du montage, qui parvient en
moins de trois minutes à chaque fois à offrir un regard intéressant sur
l'envers du décor.
Ce supplément n'est toutefois qu'un amuse-gueule en comparaison du making-of
présent sur le deuxième disque. D'une durée approchant les deux heures
et demie (!), il s'agit du point culminant de l'interactivité de Hellboy.
Les cent seize jours du tournage y sont suivis au quotidien et servent
d'ouverture sur le travail des « hommes de l'ombre » que sont les
équipes en charge des animatroniques, des cascades, des images de
synthèse ou encore des maquillages. Sans langue de bois ni
autosatisfaction déplacée, tous ces intervenants sont simplement fiers
de ce qu'ils ont accompli sur ce film et nous le font partager de façon
passionnante car passionnée. Si rien n'est superflu au cours de ce
documentaire fleuve (qui traite même des aspects du tournage
habituellement à peine évoqués comme les cascades ou le mixage audio),
les parties les plus captivantes sont celles consacrées à la création
des personnages les plus complexes. Qu'il s'agisse des maquillages et
prothèses de Hellboy et de son partenaire mi-homme mi-poisson Abe ou des
mouvements radiocommandés (voire assistés par ordinateur) de certaines
parties du corps des bad guys (Kroenen et Sammael entre autres),
l'inventivité mise en œuvre pour répondre aux multiples défis posés par
ces personnages impressionne constamment.
Pour les curieux qui en veulent toujours plus, la galerie de vidéos des maquettes
présente sur ce même deuxième disque des vidéos tournantes de six
maquettes de personnages du film, agrémentées de gros plans fixes selon
différents angles. Une façon originale et bien pensée de mettre en
valeur le travail d'orfèvre réalisé sur le design des personnages.
On s'amuse tout autant en dehors de ces scènes d'action. Comme dans Blade 2,
tous les personnages bénéficient d'un charisme énorme, Kroenen (photo
ci-dessus) et Hellboy - Ron Perlman en tête. Ce dernier trouve ici le
rôle le plus marquant de sa carrière, et prouve qu'il peut parfaitement
tenir un film sur ses épaules, même peintes en rouge. Plus encore que sa
carrure, c'est son jeu d'acteur qui impressionne, lorsqu'il donne vie à
la quête d'humanité et d'intégration du démon cornu. Car pour Hellboy,
pourchasser des démons visqueux et couverts de tentacules n'est qu'un
travail devenu routinier qu'il maîtrise à la perfection et exécute avec
un détachement et un humour à froid ravageurs. Sa raison de vivre, c'est
Liz, jeune femme du BRPD qui se transforme en torche humaine
lorsqu'elle est débordée par ses émotions. Hellboy est follement
amoureux d'elle, et cette relation constitue l'un des deux moteurs du
film (l'autre étant la relation père-fils entre Hellboy et le professeur
Broom qui l'a recueilli lors de son arrivée inopinée sur Terre).
Ces deux points n'existaient pas dans les histoires dessinées de Hellboy,
et ont été intégrées au scénario par Del Toro. Ce dernier s'est
impliqué à un tel point dans ce film que l'on ne peut pas parler d'une
adaptation cinématographique de la création de Mignola par Del Toro,
mais bel et bien d'une oeuvre réalisée en commun par les deux hommes. Ce
désir de travailler ensemble transparaît dès la conférence de presse de
présentation du projet donnée lors du Comic-Con 2002, où les
deux hommes insistent d'une même voix et dans la bonne humeur sur le
respect de l'uvre originelle ainsi que sur leur intransigeance
artistique vis-à-vis des réticences du studio. Trois ans plus tard,
force est de constater que ce qui pouvait paraître comme des paroles en
l'air se retrouve réellement à l'écran. La collaboration Mignola - Del
Toro perdure jusque dans l'interactivité du DVD, qui propose (DVD 2) les
biographies de six personnages du film, sous forme textuelle
rédigée par Del Toro ou mises en images par Mignola. Un tel supplément
alimente la création d'un univers cohérent autour du film, tout comme
les sept planches de la bande-dessinée au DVD auxquelles on peut
accéder en cours de film (ou via un sous-menu séparé) sur le premier
disque. Il s'agit de dessins réalisés par Mignola spécialement pour le
film et offrant un éclairage décalé sur l'historique de personnages ou
d'accessoires présents dans le récit. Ne manquez pas celle sur la
ceinture de Hellboy et les différentes reliques qui s'y trouvent !
Également sur le premier disque, le commentaire audio du réalisateur
prouve à quel point il s'agit pour Del Toro d'un film personnel, voire
peut-être même du film d'une vie. Il annonce d'entrée que la director's
cut est sa version favorite du film, car elle offre plus de temps pour
développer les personnages - développements qu'il signale et justifie au
cours du film. L'exubérance du réalisateur (il ne s'arrête JAMAIS de
parler) est tour à tour source d'intérêt et d'énervement. Del Toro part
en effet à de nombreuses reprises dans des digressions qui n'en
finissent pas à propos du contexte « historique » et mythologique du
récit, des comic books américains, de ses expériences personnelles liées
(ou non) au tournage de Hellboy... Mais lorsque ce foisonnement
est mis à profit de sujets plus en rapport avec ce que l'on voit à
l'écran, le commentaire devient captivant. On en apprend ainsi
énormément sur la genèse mouvementée du film, dont le scénario était
prêt dès 1998, et sur les problèmes qu'il a posés jusque lors de son
exploitation en salles à cause de la "bonne conscience" de certains.
L'implication de Guillermo Del Toro dans le projet saute aux yeux
lorsqu'il parle de sa passion pour l'animation (il cite à plusieurs
reprises Ray Harryhausen en exemple) et pour les mécanismes mécaniques
en tous genres, deux centres d'intérêt qui se trouvent au cur de la
complexité visuelle de Hellboy on pense en particulier au
personnage de Kroenen, ahurissante « horloge humaine », faute d'un
meilleur terme. Del Toro est également l'auteur du scénario, qui s'avère
au moins aussi inventif et inattendu que l'aspect visuel du film. Nous
prenant sans cesse à contre-pied, l'auteur-réalisateur alterne avec
bonheur francs éclats de rire et moments de pure émotion au détour des
scènes et des relations qui se nouent entre les personnages, Hellboy
prend en effet le temps de parler de filiation et de deuil, d'amour et
de responsabilité. Là où Del Toro surprend le plus, c'est en concluant
son film non pas sur une scène d'action mais sur un grand moment de
romantisme, avec rien de moins que l'un des plus beaux baisers de
cinéma. La manière dont il s'emballe en parlant de ce final dans son
commentaire prouve qu'il a réellement mis beaucoup de lui-même dans ce
film, ce qui rend très touchante la fin du commentaire.
En définitive, et même si tout n'est pas parfait (les personnages
secondaires auraient mérité d'être approfondis, et l'histoire présente
quelques ratés et maladresses), Hellboy est un grand moment de
cinéma d'aventures « à l'ancienne », sincère, ambitieux et emballant.
Avec son excellence technique et son interactivité titanesque, qui
décortique les rouages de la réalisation du film sans rien retirer au
plaisir de son (re)visionnage, on tient là un incontournable pour votre
DVDthèque.
N.B. : Quelques suppléments moins intéressants ont été laissés de côté au cours de cette critique : les commentaires audio du compositeur
(trop technique ; on aurait préféré le CD de la superbe bande-originale
et/ou un documentaire sur l'enregistrement de la musique) et des acteurs (creux), les trois scènes coupées (deux d'entre elles ont été réintroduites dans la director's cut, et la dernière est anecdotique), le petit guide sur les comics (un mini cours magistral sur l'histoire des BD, pas assez illustré et trop court), et enfin la galerie de bandes-annonces.
Source : Ecranlarge
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