Le rythme est essentiel. Et il est partout.
Le rythme est dans la musique, bien sûr, et dans la danse, les sports de combat, l'organisation de nos calendriers. Le rythme est l'âme de la poésie et de la littérature en général, le centre du montage cinématographique, le noyau du découpage séquentiel de la planche de bande dessinée. Le rythme régit le mouvement des planètes, la ronde des galaxies, la pulsation de l'univers connu... Et les vagues qui s'échouent sur le sable brûlant ou qui se brisent sur la roche coupante dans la cadence régulière du murmure marin.
Le rythme est essentiel dans la cosmologie de l'être humain.
Et le rythme, bien entendu, est tout aussi fondamental dans le dessin.
On y pense peu, on y pense moins, il est souvent caché voire invisible mais il est là, dans le moindre croquis jeté nerveusement pour une dédicace, ou dans l'illustration achevée d'une couverture colorisée et en rayon.
On n'y pense jamais mais le rythme, en dessin, est la répétition plus ou moins régulière d'une même forme, d'un même motif, d'une même couleur à l'intérieur d'un cadre. Une répétition qui attire, entraîne et retient l'œil du spectateur aussi sûrement que la scansion d'un refrain ou la cadence d'une percussion emporte l'oreille et le corps de l'auditeur.
Mike Mignola, grand dessinateur de comics s'il en fut, ne manque pas, on s'en doute, de rythmer ses images. Il le fait d'ordinaire de manière si subtile que jamais on ne le remarque, que toujours la scansion demeure dissimulée. Mais cette fois, mais pour la couverture de The Storm and the Fury, le rythme s'affiche. Il se montre. Il s'offre à l'évidence de tous les regards.
Observons la longue lance du chevalier qui charge, tout juste dans le dos d'Hellboy; la même diagonale, exactement, est reprise par l'épée d'or que « Red » tient posée sur son épaule.
Examinons la lance de l'autre chevalier, à gauche de l'image, et qui elle, pointe vers le haut; la même ligne oblique, précisément, est reprise par l'épaule et le bras droit d'Hellboy.
Considérons le demi cercle formé par la queue de notre héros cornu. Il se répète partout. Par les épaules des cavaliers en armure, par un anneau à la droite du garçon de l'enfer, et par la crinière courbe de la tête de cheval.
Diagonales et formes rondes rythment ici toute l'illustration de façon étonnamment ostensible. Pourquoi a-t-il choisi, Mignola, de scander à ce point ce dessin-là ? Ce dessin-là et pas un autre ?
Regardons plus attentivement le second plan. Que voyons-nous, sinon la forme suggérée d'un cœur avec, figurés par les pattes et la queue du cheval, des vaisseaux sanguins qui s'en échappent ? Le voyez-vous ce cœur gigantesque ? Oui, dès lors que nous l'avons débusquée, la forme de ce cœur devient omniprésente.
Et qu'associe-t-on, en général, à cet organe de la vie ? Quelle expression nous vient donc à l'esprit à propos de ce muscle involontaire, sinon le rythme cardiaque ?
Alors, très probablement, les formes régulières que Mike Mignola utilise ici afin de rythmer son dessin comme rarement il l'a fait auparavant, sont un écho graphique des battements cardiaques qui, dans The Storm and the Fury, prendront à la fin tout leur sens.
Bernard Dato