Mike Mignola, comme son confrère Frank Miller - et avant eux Milton Caniff et Hugo Pratt -, use à la perfection du "passage de l'ombre".
J'ai toute votre attention ? Très bien. Mais... Je vois une main se lever là-bas, tout au fond. Je vous en prie. Qu'est-ce que le "passage de l'ombre" ? Oui, bien sûr, je vous demande pardon, où donc avais-je la tête...
Le passage de l'ombre, en dessin, est le procédé qui consiste à établir un passage entre les aplats d'ombres de deux objets, passage qui efface du coup les contours qui séparaient les dits objets. Bien... je vois à vos yeux arrondis que ce n'est guère encore très clair. Très bien. Alors observez. Observez avec attention le genou gauche de Hellboy : une petite partie de son contour disparaît dans l'ombre du fond de l'image. Idem pour toute la partie inférieure du genou droit, idem pour la sangle abdominale qui se fond dans l'ombre du short, lequel se fond à son tour dans le noir du décor.
Vous me suivez à présent ? Parfait, poursuivons.
Mike Mignola, contrairement à Frank Miller dans son "Sin City", n'utilise pratiquement jamais, en revanche, le "passage de la lumière" (même procédé qui, lorsque l'objet est surexposé, voit quelques-uns de ses contours disparaître). Surtout pas, en tous cas, dans le visage de Hellboy qui toujours conserve la totalité de ses traits, qui toujours voit les contours de ses cornes bien tracés.
Or, que voit-on dans cette variant-cover ? Que voit-on d'inhabituel et qui frappe ? Que voit-on qui tranche avec le style coutumier de Mignola ? Observez. Observer attentivement le visage : Mike Mignola, une fois n'est pas coutume, a glissé un passage de la lumière dans la partie supérieure de la face du personnage, passage de la lumière dans la partie supérieure de la face du personnage, passage de la lumière entre front et cornes et qui efface les traits de séparation entre les deux.
Allez, on va le dire autrement : tout se passe comme si le rouge était en train d'effacer les traits du visage de Hellboy.
Vous êtes toujours là ? Très bien, très bien, poursuivons alors plus avant.
Hellboy, à genou, semble s'abimer dans la contemplation d'un large aplat de rouge qui occupe exceptionnellement une grande partie de l'espace du cadre (l'aplat en question n'est pas même altéré par des lettres d'un titre).
Une fois de plus, disons le autrement et résumons : la couleur rouge gomme peu à peu les traits de Hellboy, Lequel Hellboy paraît prêt à se fondre dans un immense aplat du même rouge.
Dois-je préciser ? Dois-je vraiment en pire plus ? Non, je vois bien que vous avez compris, oui, même vous, là-bas, tout au fond.
Ainsi, alors que la scène ne révèle rien de l'issue de l'histoire, l'image, pour autant, sur un mode "graphico-symbolique", annonce bel et bien l'aboutissement du récit.
Du grand art, du très, très grand art Mr Mignola.
Bernard DATO
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