lundi 8 août 2011

Dave Johnson : l'art est organique et réfléchi.

Dave Johnson : l'art est organique et réfléchi.

Une couverture, moins encore qu'une planche, ne va pas de soi.
La preuve en images.
Quatre images, quatre étapes, quatre instantanés d'un geste artistique évolutif et non pas, comme on pourrait l'imaginer, quatre propositions qui seraient indépendantes tout autant que différentes.
Evolutif, disais-je, autant dire organique plus que mécanique.
Qu'elles soient induites par la réflexion du seul dessinateur, par des remarques de Mike Mignola ou par des recommandations de Dark Horse - ou même encore par une conjonction des trois éléments -, tout se passe comme si, tout au long de ces étapes, Dave Johnson s'éloignait peu à peu de l'acte sanglant commis par Abe sapien.
Eloignement...
Eloignement dans l'espace, éloignement dans le temps, éloignement aussi de la responsabilité du seul personnage.

Ebauche au crayon :


Abe est furieux. Abe est en train de perpétrer l'acte violent (le sang gicle), nous sommes dans le maintenant de l'acte. Dans l'espace du cadre, Abe est de la même taille que la maison et si le titre les sépare, le couteau les relie: nous sommes dans le ici et maintenant de l'acte.

Seconde étape :


Abe, à présent, est présenté en pied et au premier plan de l'image, la maison, en arrière plan, occupant moins d'espace dans le cadre: nous nous sommes éloignés spacialement de l'acte.
Abe est calme, le couteau est tenu pointe vers le haut, le sang le recouvre comme il recouvre le poing, l'avant-bras et une partie du titre, autrement dit l'acte est déjà commis: nous nous sommes éloignés dans le temps.
Nous avons quitté, même s'il est encore proche (les yeux de Abe sont rouges) le ici et maintenant.

Troisième étape :


Cette fois Abe n'est plus figuré sur un axe vertical mais sur une diagonale:il est perturbé.
Cette fois le couteau, lui, est pointé vers le bas: Abe semble donc ne pas revendiquer pleinement, comme dans les deux précédentes versions, cet acte barbare dont on ne le soupçonnait guère capable.
Le titre, extirpé du corps de Abe, s'est retranché derrière la maison, le sang demeurant sur le seul couteau, autant dire qu'on s'éloigne alors d'une pleine responsabilité de Abe Sapien.

Etape finale :


Le couteau ne goutte plus, les yeux de Abe ont recouvré leur bleu habituel (encore un éloignement dans le temps), la tête de mort – apparue dans l'étape précédente - et les tentacules en queue de diable s'agitant sous la maison tendent à reporter la possession diabolique sur la maison bien plus que sur le personnage (encore un éloignement de la responsabilité de Abe).
Eloignement...
L'éloignement est bien le maître-mot de ce travail évolutif aboutissant à la couverture définitive.
Le lecteur, ainsi, au fil des étapes, s'est trouvé éloigné dans le temps et dans l'espace d'un acte sanglant de Abe Sabien, en même temps que la responsabilité du héros en a été atténuée.
Visuellement, si l'acte était figuré dans le crayonné, il a été progressivement banni dans le hors-cadre de l'image par Dave Johnson – suscitant beaucoup plus, du coup, la participation imaginative du lecteur -, Dave Johnson qui prouve donc, si besoin était, que la création, geste organique bien plus que mécanique, est cependant un geste initié par la réflexion tout autant que par l'instinct.

Bernard Dato

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