samedi 11 février 2012

Le Hellboyverse : Cinq contre un.


1993. ET DIEU...CRÉA...PARDON. ET MIGNOLA CRÉA HELLBOY ! VÊTU D'UN TRENCH-COAT ÉLIMÉ ET FUMANT LE CIGARE - UN GENRE DE LIEUTENANT COLUMBO TOUT ROUGE AUX CORNES FRONTALES BRISÉES -, CE DÉTECTIVE DU PARANORMAL, INCARNÉ PAR RON PERLMAN DEVANT LA CAMÉRA DE GUILLERMO DEL TORO, EST AVANT TOUT UN PERSONNAGE DE COMICS. MAIS QU'EN EST-IL, AU JUSTE, DE SON UNIVERS NARRATIF ?


Nous l'avons vu, déjà, sa main droite de pierre (ainsi que son comportement de brute au cœur tendre), évoquent immanquablement La Chose des Quatre Fantastiques, sa ceinture rappelle Batman, son révolver Le Punisher. C'est donc un profil super-héroïque que le dessinateur a donné à son héros. Jetons un œil à la page qui précède le chapitre un des Germes de la Destruction (chez Delcourt) et nous trouverons l'explication car c'est d'abord à Jack Kirby que Mignola dédie la saga. Hellboy va-t-il pour autant voler au sommet des buildings, combattre des super vilains bariolés de couleurs vives ou se cacher, pour vivre un quotidien trivial entre ses multiples exploits, derrière une fausse identité qui le fondrait dans l'anonymat? Non. Certes, il est  un genre de Superman, venu d'un autre monde et adopté par les humains. Mais ce n'est pas d'une autre planète qu'il nous arrive, c'est de l'enfer.
Et c'est le moment de revenir à la page où Kirby était mentionné car, remarquons-le, le deuxième nom cité est H.P Lovecraft.

TRANSCENDER UN GENRE


Les comics et les super-héros appartiennent à la contre-culture. Cohérent dans sa démarche créatrice, Mignola va insérer son personnage dans un genre issu lui aussi de la contre-culture: l'horreur. Présent dans toutes les sociétés de toutes les époques, l'horreur est un genre fondamental qui tourne autour d'une question essentielle: qu'est-ce qui relève de l'humain et qu'est-ce qui procède de l'inhumain? Un genre primordial qui révèle une des peurs élémentaires de l'inconscient collectif:  la crainte angoissante que l'inhumanité pénètre notre monde. Un genre peuplé de monstres tout puissants, animaux, mécaniques ou spectraux, contre lesquels, en permanence au fil du récit, le héros devra se battre. Dans les bonnes histoires d'horreur, le héros luttera en parallèle contre une monstruosité intérieure qu'un événement passé veut faire resurgir (et c'est le cas, ici, bien entendu, pour ce « garçon de l'enfer » qui voit dans le miroir le « Anung Un Rama » qui est en lui). Et dans les très bonnes histoires d'horreur, l'auteur va opérer, vers le milieu de son récit, un renversement structurel qui fait subitement du monstre le personnage le plus humain de tous. Allons voir, pour nous en convaincre, du côté de Frankestein, King Kong ou La Belle et la Bête. Et c'est ici, précisément, que Mignola va bousculer le genre, le tordre, le décaler, en un mot le transcender: c'est au tout début de son histoire - et non pas en son centre - qu'il réalise son renversement et fait de son monstre diabolique (Hellboy), de part son adoption et sa volonté propre, un personnage profondément humain. Personnage auquel, de surcroît, il attribue un statut de détective.

ENTREMÊLER LES GENRES


Souvenons nous du trench-coat et du cigare. Oui, Hellboy est un détective. Faisons une courte pause pour sommairement poser quelques définitions. Dans un policier, le détective doit résoudre une énigme. Dans un polar, il va pousser si loin la quête de la culpabilité qu'il va la débusquer en lui-même. Dans un Thriller, enfin, il sera, alors qu'il mène ses investigations, constamment mis en danger. Revenons à notre détective du paranormal. Voici un extrait de La Grande Battue: « Contre qui crois-tu lutter? Contre toi-même ». « Nom de Dieu. Qu'est-ce que j'ai fait? » C'est manifeste, la dynamique en jeu ici est bien le polar tant la culpabilité de Hellboy est sans cesse questionnée. Si à cela nous rajoutons la longue liste des abondants périls auquel il a du faire face depuis le début de ses aventures, force sera de constater que la dynamique du thriller est elle aussi en mouvement.
Il est temps de prendre, sur l'ensemble de la saga, un recul suffisant pour embrasser la forme même qui lui est octroyée.

LE MYTHE MODERNISÉ


Hellboy a la bougeotte. Hellboy ne tient jamais en place. Alors Hellboy voyage, allant même jusqu'à quitter le B.P.R.D. Et dans son long périple, il livrera bataille contre de nombreux  adversaires inconnus pour, en fin de compte, revenir à son point de départ et découvrir ce qui était déjà en lui, à savoir  qu'il est de nature démoniaque et roi d'Angleterre. Cette structure circulaire ne nous rappelle-t-elle pas un de nos mythes les plus connus? L'odyssée, oui, bien entendu. Ulysse qui part, Ulysse qui fait face à diverses créatures menaçantes, et Ulysse qui retourne à Ithaque pour comprendre enfin qui il est. Outre cette configuration, la forme mythique implique également que le héros, au cours de ses exploits, se procure un talisman, objet physique exprimant sa nature profonde (pour Hellboy, il s'agira d' Excalibur). Cette forme mythique, enfin, met l'accent sur le destin du personnage (« Tu prendras l'épée de ton père... Tu es la sentence de la chute transmise depuis le commencement... Tu ne peux échapper à ton destin... » peut-on lire à nouveau dans La Grande Battue).
Hellboy et Ulysse ne sont toutefois pas les seuls à réaliser des exploits.

UNE PROUESSE NARRATIVE


Résumons-nous : Mignola conçoit un personnage au profil super-héroïque, l'introduit via le médium de la Bande Dessinée dans un genre qui n'est pas le sien (l'horreur) - dont au passage il modifie l'architecture habituelle -, applique la dynamique du polar et du thriller, et déroule le tout sous la forme du récit mythique.
En d'autres termes, il se saisit de cinq éléments de la contre-culture moderne (comics, super-héros, horreur, polar et thriller) pour les amalgamer selon la forme la plus ancienne et la plus classique de notre culture (le mythe).
Cinq contre un...
Si nous considérons de plus, la cohésion de l'ensemble, il devient clair que le Hellboyverse est une performance esthético-structurelle à part entière.
Mignola est un dessinateur de comics. Entendons un artiste de la contre-culture. Néanmoins, nous l'avons vu, bien des peintres, écrivains ou cinéastes, pourraient lui envier la puissance imparable et la singularité unique de sa création.
Et qu'entendons-nous ici et là ? Mignola encreur virtuose ? Mignola dessinateur hors-pair des contrastes et de l'épure ? Mignola auteur subtil, influent et prolifique, encensé par les professionnels  et adulés par les fans? Certes, nous sommes d'accord. Nous sommes d'accord mais, pardonnez-nous, Mike Mignola...
… C'est un peu plus que ça encore.

Bernard Dato

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