samedi 30 juillet 2011

Hellboy in Mexico : dans les deux coins du ring !

Hellboy in Mexico : dans les deux coins du ring !

Hellboy in Mexico. Une seule histoire, deux couvertures.

Deux couvertures, deux dessins de deux maîtres du genre, l'enfant de l'underground et qui en France a grandi dans « Métal Hurlant », Richard Corben, et l'encreur de Génie qui a influencé nombre de dessinateurs - parmi lesquels ceux dont il avait commencé par noircir les ombres avant de lui-même passer aux crayons -, Mike Mignola.

Mignola est ici au scénario (astucieux récit qui fait de Hellboy un narrateur homodiégétique - il est un personnage de l'histoire qu'il conte – et de Abe Sapien un auditeur au même titre que le lecteur – ainsi plongé plus sûrement dans l'histoire -, et qui réserve la chute touchante et humoristique au seul lecteur qui, alors que nos deux héros quittent l'histoire, est laissé au Mexique, dans une petite salle de cinéma délabrée auprès de quelques enfants autochtones pour apprendre, chanceux qu'il est, ce que Hellboy et Abe, eux, continueront d'ignorer).

Corben est au dessin et livre ici le meilleur de son art – Mignola ne s'y est pas trompé qui lui offre ses motifs préférés au sein du même récit: anatomies bodybuildées (les luchadores), caricatures (vampires et autres monstres) et espaces brumeux, altérés et accidentés (bâtisses en ruines perdues en plein désert). Le coloriste Dave Stewart, quant à lui, joue sur une palette et un style si proches de ce que ferait Corben qu'on devine qu'il a du s'abimer des heures et des jours et des semaines dans la contemplation et l'analyse des anciens travaux du dessinateur.

Une seule histoire, deux couvertures. Deux dessins qui outre leur trait spécifique (Corben, pour faire vite, applique un hyper-réalisme de matière et d'anatomie à un dessin caricatural et Mignola, comme Frank Miller, flirte avec l'iconique et l'abstrait), sont fondamentalement différents dans leur composition et nous invitent ainsi à réfléchir aux deux courants principaux qui irriguent graphiquement la BD : la peinture et le cinéma.

Coins du ring. A ma gauche Richard Corben.


Dans la peinture figurative classique, l'observateur est à distance du sujet. Si à ses débuts le cinéma s'est inspiré de cette peinture académique, il a très rapidement trouvé sa spécificité dès lors que la caméra s'est mise à bouger. Car le travelling, qu'il soit latéral, avant ou arrière, induit une nouveauté dans le cadre: des objets décadrés apparaissent au premier plan. On voit bien, dans la version de Corben, en bas à gauche de l'image, une partie décadrée du ring dont la perspective linéaire fait entrer l'œil dans la scène (les autres perspectives de l'image seront de diminution de taille et de superposition). De plus, Corben choisit d'illustrer un seul instant de l'histoire et la composition en triangle (coude droit de Hellboy/main gauche du catcheur/coude droit du catcheur) fait circuler le regard dans une dynamique qui accentue l'impression de mouvement (déjà suggéré par l'attitude même de Hellboy).

Coin du ring, à ma droite Mike Mignola.


Mike, ici, est résolument du côté pictural. Pas d'avant-plan décadré (nous sommes à distance de la scène), pas de perspective linéaire. Trois motifs principaux qui, illustrant divers moments du récit, ont valeur symbolique. Trois motifs principaux et figés appartenant à des espaces et des instants différents, agencés arbitrairement et qui donc ont une fonction sémantique tout autant que graphique.

C'est de la figuration cinématographique que relève donc l'image de Corben là où celle de Mignola relève de l'écriture picturale.
Deux couvertures, deux images, deux styles, mais surtout deux courants – cinéma et peinture – que nous offrent là ces deux dessinateurs exceptionnels. Notons qu'au sein même de l'histoire le pictural est bien présent (les affiches de catch) ainsi que le cinéma (dans les deux dernières planches), éléments du récit qui, en résonance avec les deux couvertures de nos créateurs, confèrent à ce petit comic-book une profondeur référentielle remarquable.

Bernard DATO

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