mardi 19 août 2014

Mignola et Allie font le point sur le HBverse !


Rien de mieux pour bien débuter la semaine qu'une bonne grosse interview de Mike Mignola et Scott Allie. Cherchez pas, y'a pas mieux ! C'est donc au micro du site Bloody Disgusting que nos deux amis se sont laissés aller à un brossage complet des enjeux qui traversent actuellement les ongoings Abe Sapien et Hellboy in Hell ainsi qu'à une petite supputation sur leur éventuel avenir et probable fin. Comme d'habitude, si jamais vous croisez au cours de votre lecture une énorme faute daurtaugrafe ou bien de conjugaison, n'oubliez pas que c'est bibi qui s'est chargé de sa traduction. Allez, c'est ti-par :

Bloody-Disgusting : Votre approche du Mignolaverse a toujours reposé sur des histoires courtes. Pourquoi ce choix et que préférez-vous là-dedans ?

Mike Mignola : Lorsque je pense « histoire courte », je pense en général à une histoire s’étalant sur huit pages. N’étant pas un grand lecteur de comics, je suis du genre à préférer les histoires courtes. Je n’avais d’ailleurs jamais bossé sur une série régulière avant de faire « B.P.R.D. » Le plus gros problème pour moi était de respecter les deadlines. Même au cours des années qui précédèrent le lancement de la série « Hellboy », j’étais considéré comme un gars dédié aux projets spéciaux. J’ai toujours pensé “petits projets” car, à moins que vous ne travailliez sur une série régulière, vous n’avez pas spécialement envie de laisser en suspens un million de fils narratifs. Cela énerve particulièrement les gens dans le sens où ils doivent attendre six mois avant que la résolution de l’histoire n’arrive. John Arcudi a beaucoup plus d’expérience que moi dans le domaine des histoires mensuelles. Il pense énormément au développement de ses histoires.

Scott Allie : Parfois, nous poussons John à écrire des histoires courtes, mais il adore se lancer dans des histoires de cinq ou bien six numéros.

MM : Ce qui est vraiment génial. C’est quelque chose qu’il fait très bien, mais même avec nos histoires courtes, vous n’êtes pas à l’abri d’y voir un élément qui demandera à être développé un peu plus. C’est le piège. Vous créez des histoires qui tiennent très bien toutes seules mais lorsque vous prenez un peu de recul, vous vous apercevez que tout ça mène finalement quelque part.

SA : Nous sommes un peu âgés. Nous venons d’une époque où beaucoup de comics étaient en fait des standalone. A chaque fois que vous vous achetiez un comic book, vous aviez entre les mains une histoire complète. Je me souviens lorsque Neil Gaiman venait de créer « Sandman ». Les sept premiers numéros étaient excellents. Chaque numéro faisait office de standalone, mais gagnaient à être lus une fois reliés dans le même volume. Alan Moore a fait exactement la même chose avec « Swamp Thing ». 

MM : Ce qui est bien avec les histoires courtes, c’est de pouvoir donner aux lecteurs la chance de prendre l’histoire principale en cours de route. Ce matin, quelqu’un m’a dit au sujet du sixième numéro de « Hellboy in Hell » qu’il fonctionnait très bien en tant que standalone et qu’il offrait une bonne vitrine pour tous ceux qui ne sont pas familiers avec le personnage. Je ne sais pas si c’est vrai mais au moins, vous ne déboulez pas en plein milieu d’un combat qui dure depuis trente-six numéros.

BD : Nous sommes aujourd’hui à un moment pivot pour les deux séries. Vingt ans après les débuts de la série, Abe s’apprête à avoir un nouveau départ et « Hellboy in Hell » vient tout juste de débuter son deuxième arc narratif. Une véritable célébration de l’héritage de Hellboy ainsi qu’un nouveau challenge pour ces  deux protagonistes.  Même si ces deux nouvelles séries peuvent-être digérées assez facilement, pourquoi de nouveaux fans les débuteraient-ils alors qu'ils ont plus de vingt ans de publication  de retard ?

SA : Hellboy, Abe et tous les membres du B.P.R.D. traversent aujourd’hui le moment le plus compliqué de leurs parcours. Je pense que « Hellboy in Hell » est le comic book que Mike a toujours rêvé de faire. Ces personnages se trouvent tous dans des lieux vraiment intéressants. Abe est sur le point d’en apprendre plus sur lui et sur sa prétendue responsabilité dans cette histoire de fin du monde. Dans la série « B.P.R.D. », les personnages se préparent à traverser une période assez tendue. Kate Corrigan est sur le point de vivre l’une des meilleures histoires que nous ayons pu écrire sur elle. Tout ce petit monde va bientôt devoir gérer ce scénario apocalyptique si spécifique et unique à cet univers créé par Mike.


MM : Nous vivons dans le monde des volumes reliés. Je ne me sens pas trop sous pression vis-à-vis de ces standalone. Je veux juste que les lecteurs ne se sentent pas complètement perdus dès lors qu’ils lisent une de mes séries. Nous voulons que les lecteurs, s’ils sont suffisamment intéressés par nos histoires, fassent des allers retours entre les différents volumes. Tout le matériel indispensable à la bonne compréhension du HBverse est publié et prêt à être lu. Cet ensemble de série forme une seule et unique histoire. Nous sommes aujourd’hui à mi-parcours, peut-être même plus que ça.

Nous allons dans une direction bien précise. Ce n’est pas un univers qui tournera en rond indéfiniment, ce qui est un peu flippant soit dit en passant car cela rend notre travail pour la suite un peu plus difficile. Peut-être que les gens ne reconnaitront pas le monde que j’ai créé il y a vingt ans. Tout a radicalement évolué ces dix dernières années. Ce n’est pas encore un univers post apocalyptique, mais il évoluera dans cette direction.

BD : Les séries « Hellboy » et « Abe Sapien » ont énormément changé au fil des ans. Mike, pouvez-vous nous dire pourquoi Abe fuit son passé alors que vous forcez Hellboy à affronter le sien ?

SA : Hellboy ne cherche pas vraiment la confrontation. 

MM : Au départ, je voulais libérer Hellboy de tous ces trucs qu’il porte sur ses épaules en quelques numéros, et ce afin de lui faire vivre rapidement des aventures courtes. Il s’est finalement avéré que le personnage aura besoin de bien plus de numéros si il veut faire le ménage dans sa vie passée. C’est pourquoi je pense étaler tout ça sur quatre volumes avant de l’emmener dans le lieu où il pourra s’amuser un peu. 

Vous venez de faire une bonne remarque. Malgré ce que l’Enfer traverse actuellement comme perturbations, ce n’est pas grand chose comparé à ce que la Terre endure de son côté. Je pense que Abe va avoir un peu plus de merdes à gérer qu'avant.

SA : La principale différence entre ces deux personnages, c’est que Hellboy a toujours refusé de savoir ce qu’il est ou bien de connaitre la signification de son existence. Abe a toujours été plus enclin à en apprendre plus sur ce qu’il est. Aujourd’hui, Hellboy ne peut pas éviter qui il est et ce qu’il est et Abe, de son côté, se retrouve bloquer dans la mise en place de l’Apocalypse. La question à laquelle il devra trouver une réponse est donc « à quel point suis-je lié à tout ça ? »

MM : Ces deux séries parlent d’évolution, que ce soit celle du monde ou bien celle des personnages. Ce n’est pas comme si nous venions d’affronter Magneto pour la dix millionième fois. Je ne sais vraiment pas comment Marvel et DC arrivent à garder leurs séries à flot. Comment de fois peuvent-ils encore faire le tour du même pot ? De notre côté, nous ne tournons pas en rond, nous nous déplaçons à pied de la côte d'un pays à une autre.

SA : Nous détruisons le pot au lieu d’en faire le tour.

MM : Et nous brulons tout avant d’aller ailleurs.

SA : Il n’y a pas de bouton reset pour tout ce que nous faisons. Si vous avez vu ce que nous venons de faire à la ville de Manhattan, vous devez alors vous douter que ça prendra beaucoup de temps avant de reconstruire cet endroit.

BD : Ce que vous venez de dire est intéressant. Si un autre éditeur faisait ce que vous faites avec le Mignolaverse, ils appelleraient ça un « event comic », mais dans votre cas, il s’agit tout simplement d’un nouveau numéro. Vous célébrez cette année les 20 ans de Hellboy en envoyant vos personnages adorés traverser le moment de leur vie le plus pourri.

MM : J’ai toujours été contre le principe de l’event. Je pense sincèrement que ce genre de truc n’est là que pour booster les ventes d’une série sur une courte période. De mon côté, tout ce que je veux, c’est raconter des histoires. Les gens me demandent pourquoi nous avons organisé tous ces trucs pour le 20ème anniversaire de Hellboy, et pour être honnête avec vous, ça nous est plus tombé dessus qu’autre chose. Je ne voulais pas réaliser de numéro spécial pour cet événement car, dans dix ans, tout le monde se foutra de cet événement spécial. Je ne suis pas là pour faire dont le seul but sera de garnir une collection de livres. Je ne cherche pas à être sur des projets artificiels. Je souhaite uniquement donner à une histoire la place nécessaire afin qu’elle puisse se raconter elle-même.

SA : Les événements sont dans l’histoire. Lorsque Hellboy est mort, notre département marketing allait devenir fou. Ils voulaient à tout prix qu’on en discute, mais Mike fut très précis quant à ce que nous pouvions faire. Je me souviens qu’il avait fait une interview qui fut publié le lendemain de la sortie du numéro voyant Hellboy mourir. 

MM : Tout à fait. Je voulais vraiment que les lecteurs soient choqués en tournant la page qui montre Hellboy mourir. Je ne voulais pas que le service marketing ponde des bannières qui annonceraient ça plusieurs mois en avance. Où serait la surprise ? Et comme je suis également quelqu’un de particulièrement anxieux, ma plus crainte est que, si vous annoncez quelque chose de vraiment grand, je n’aurai alors plus qu’à attendre tranquillement que les lecteurs, déçus, se mettent à dire que ce n’était finalement pas aussi génial que ça. Mais si je vais là où il n’y a rien de particulier pour y faire quelque chose de spécial, les gens se diront « oh putain, ils ont fait sauté New York ! » Nous n’aurons alors plus qu’à nous dire « ouais, on l’a fait. »

BD : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Dave Stewart ?

MM : Je commence d’abord par m’excuser pour la qualité plus que médiocre du comic book que je viens de terminer et je le supplie de tout faire pour que les lecteurs pensent que je savais ce que je faisais en le dessinant. Cela correspond à peu près à un tiers de nos conversations. Les deux autres tiers se résument à moi détaillant à Dave ce qu’il doit faire sur le comic book, et ce case par case. Je torture Dave bien plus que n’importe qui d’autre sur cette planète.

SA : Tu le tortures beaucoup moins que ce tu pouvais lui faire subir par le passé. Je pense que c’est beaucoup plus facile pour toi de travailler avec lui qu’avant. Nous faisons ça depuis maintenant si longtemps. Il fut une époque où Mike habitait en ville, et à chaque fois qu’il finissait un comic book, nous nous rendions chez Dave et passions à peu près huit heures sur son ordinateur à passer en revue les 22 pages du comic book.

MM : C’était après que Dave ait terminé de coloriser un comic book. Nous nous asseyions avec lui et faisions quelques ajustements. Dave a dû être tellement heureux lorsque j’ai déménagé à Portland. 

SA : Dave et moi avons appris tant de choses en travaillant sur le Mignolaverse. Nous avons travaillé ensemble sur d’autres projets et nous utilisons le même vocabulaire. 

BD : Dans « Hellboy in Hell », notre démon cornu est entouré par toute cette bizarrerie cosmique. Pourquoi cela l’affecte-t-il d’une façon aussi étrange ?

MM : Hellboy est un anonyme et je pense qu’il aime ça. Il discute avec des gens qui ne semblent pas plus se soucier que ça de savoir qui il est. Hellboy passe plus facilement incognito en Enfer que sur Terre. Hellboy a toujours été rouge, quel que soit l’endroit de la planète où il se trouve. Du coup, Dave et moi avons discuté ensemble de ça et avons pris la décision d’ajuster sa couleur de peau à l’environnement dans lequel il se trouve. Du fait qu’il soit un peu comme une sorte de caméléon dans ce monde, nous voulions lui donner une couleur qui rappelle celle de la couleur de la peau. Il y a bien ces rares moments où sa couleur de peau originelle réapparait, mais c’est plus lié aux moments où il s’allume une cigarette qu’autre chose. Nous lui avons retiré sa couleur afin de mieux le fonder dans ce monde.


BD : Quelle est la partie la plus difficile dans le développement des séries « Hellboy in Hell » et « Abe Sapien » ?

MM : Vous aviez raison tout à l’heure en disant que « Hellboy in Hell » est la série la plus fun que j’ai jamais eu à dessiner. Elle l’est réellement. C’est la série que j’ai toujours rêvé de faire. Seulement voilà, je ne suis jamais satisfait de la façon dont je dessine. J’ai inventé tout le truc mais je trouve encore le moyen de me dégonfler. Dans ces moments, je passe un coup de fil à Scott afin qu’il me donne quelques conseils. D’un côté, c’est vraiment facile pour moi d’inventer tous ces trucs audacieux, mais dès que je dois coucher toutes ces idées sur une planche, je dois me rappeler que si je suis en train de bosser sur cette série, c’est uniquement parce que je veux développer tel ou tel élément étrange du monde que j’ai créé. Je veux emmener cette série dans les abysses. Il y a de la logique dans presque tout, même vous prenez une direction qui vous éloigne profondément de tout ce qui faisait l’essence de votre série.

Hellboy est devenu Roi d’Angleterre, chose qui prend sens lorsque l’on jette œil à ce qu’il a pu faire juste après. C’est tellement étrange. Ce genre de truc est arrivé tout au long de la série. Lorsque j’ai envoyé Hellboy au fond des océans, j’ai cru que j’étais devenu fou. Je continue de prendre des directions qui font que je vais plus loin dans l’étrange, mais après 20 années passées sur la même série, j’ai finalement atteins celle que j’ai toujours rêvé de faire.

SA : Lorsque nous allions commencer la série, nous avons discuté de l’obligation de faire certaines scènes. Nous ne voulions pas les faire mais devions les faire. Il n’y a aucun plan extérieur que nous devons intégrer dans l’histoire principale de la série. Mike me parle de ses idées complètement folles et je veux juste le voir les mettre en case. Si seulement il dessinait plus vite, il pourrait voir ses idées coucher sur une planche bien avant qu’il ne commence à avoir le moindre doute. La conversation a ensuite bifurqué sur les éléments bizarres qu’il avait en tête ainsi que sur les raisons qui l’ont poussé à faire cette nouvelle série. Après tout, où serait l’intérêt si tout dans cette série ne semblait pas totalement dingue ?

MM : C’est vraiment bien pour moi de parler à Scott de tous ces petits trucs. J’ai besoin de lui pour me souvenir de ces détails dont je lui ai un jour parlé. J’ai besoin de lui pour qu’il m’y tienne. C’est top si j’imagine quelque chose de totalement fou, mais cela m’interdit de faire machine arrière afin de rattraper le truc. Il y a un plan bien défini derrière toute cette folie et il faut s'y tenir.

SA : Le plan général de la série que Mike a dans la tête est le plan parfait. Il sait qu’il va quelque part. Il connaît le grand final. Il sait que quelques petits trucs apparaitront à tel ou tel moment de la série mais il se laisse un énorme espace de réflexion pour mieux penser sa petite virée en Enfer. Nous savons que nous nous dirigeons vers quelque chose de vraiment bien. D’après moi, l’industrie du comic book manque cruellement de grandes fins, mais je suis en paix avec ma conscience lorsque je pense à toutes ces choses que nous faisons actuellement.

MM : Nous voulons que les lecteurs soient récompensés de s’être autant investis dans cet univers.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire