dimanche 8 janvier 2012

Hellboy Vs the Aztec Mummy, un révolver chargé de sens.


DEUX PLANCHES. DEUX PLANCHES D'INTRODUCTION ET DOUZE CASES A PEINE ET MIGNOLA, NON CONTENT D'INSTALLER INTRIGUE, SUSPENSE ET MYSTÈRE, PARVIENT A FAIRE ÉPROUVER PRÉCISÉMENT AU LECTEUR CE QUE HELLBOY RESSENT. SON SECRET ? LE GÉNIE, ASSURÉMENT.
LE GÉNIE, OUI, MAIS ENCORE ?

Proleptique. Proleptique est le mot-clef, l'adjectif capital, le concept cardinal de ces deux planches exceptionnelles. En narratologie, l'élément proleptique est celui qui annonce à l'avance ce qui n'aura lieu que plus tard dans l'histoire contée. Ici, pas moins de deux éléments graphiques relèvent de la prolepse. Une prolepse d'autant plus subtile qu'elle est, chaque fois,  implicite seulement. Jetons un coup d'œil rapide aux deux planches. Outre l'ambiance en clair-obscur et intrigante de la première, et le dynamisme de l'action dépeinte dans la seconde (les diagonales ont succédé aux verticales), deux détails attirent notre attention: le révolver omniprésent de Hellboy et puis ces feuilles de papier qui, dans la plupart des cases, virevoltent et tombent, en suspension dans un air tour à tour tourbillonnant et poussiéreux d'une courte bataille, ou transparent et froid d'une nuit de croissant de lune éblouissant.

LE REVOLVER ANNONCIATEUR




Dans la première planche, Hellboy pressent ce qui va advenir, tout du moins il anticipe le danger, en témoigne sa main gauche qui tremble et qui s'agite, prête à saisir son arme à feu. Anticiper l'avenir immédiat, voilà le sentiment diffus et pour autant central qui traverse le personnage dans cette scène d'exposition. Or, ce même révolver est saisi par le dessinateur de manière strictement identique dans les deux planches: en très gros plan et cadré serré, dans la dernière case en bas à droite chaque fois. C'est en cela que la dernière case de la planche 1 est proleptique de l'ultime vignette de la planche 2 (elles sont quasi jumelles), et que le lecteur, donc, peut pressentir la perte de l'objet précieux. Mais ce n'est pas là l'unique élément dramatique dont il peut présager grâce aux indices subliminaux glissés par Mignola.



DÉSARMÉ ET ENLEVÉ



Revenons à présent sur ces papiers qui tournoient dans les rues. Les papiers volent. Les papiers tombent. Et ce, dès la première case où Hellboy apparaît. Voler, tomber... Ne sont-ce pas exactement les deux événement déterminants pour la suite et que Mike Mignola va nous exposer quelques vignettes plus loin? Oui, justement, tomber, c'est qui va arriver au révolver du personnage. Voler, c'est ce qui va advenir de Hellboy, kidnappé dans les air par une chauve souris monstrueuse. Ainsi, ces feuilles de papier qui hantent le village mexicain ne seraient pas qu'un simple et trivial élément ornemental, mais au contraire, une fois de plus, une prolepse à l'intention de l'inconscient du lecteur, un symbole des deux actions cruciales qui vont se dérouler.



TEMPS ET ESPACE

Nous l'avons vu, du fait des deux astucieuses prolepses utilisées - papiers et révolver -, le lecteur partage comme par magie l'intuition vague et pénétrante qui parcours le héros du B.P.R.D. ce qui, en soi, est déjà une performance narrative rare. Mais comme si cela ne suffisait pas, Mike Mignola se sert de l'arme de poing à une autre fin tout aussi subtile. Car dans la dernière image, l'objet en très gros plan est cette fois un repère spatio-temporel. Tout près de notre œil et dans sa chute, il   mesure pour nous la profondeur spatiale du décor puisque Hellboy emporté par le monstre, en comparaison, est déjà tout petit dans le cadre. Et ce même objet, pour finir, nous révèle avec la précision d'une horloge suisse et numérique la vitesse exacte et foudroyante de la chauve souris ravisseuse puisque elle-même et sa victime sont déjà presque inaccessibles à notre regard, là ou l'arme qui chute, elle, n'a pas encore touché le sol.



Peut-on faire plus fort, plus raffiné, plus efficient ? Peut-on atteindre sommets plus élevés dans l'art de la séquence dessinée au crayon ?

LA SOMME DES PARTIES

Ces deux simples planches auront prouvé deux choses. La première est que Mike Mignola, de toute évidence,  est un grand maître de la narration (encore n'avons-nous pas évoqué l'épure stylée de son trait, la maîtrise dramatique des ombres ni l'efficacité dynamique de son découpage). La seconde est que la bande dessinée, médium qu'il affectionne et qu'il dévoile dans toute sa complexe beauté, n'est pas seulement une addition de textes et d'images, que l'art séquentiel ne se réduit pas à la somme du littéraire et du pictural mais que, comme le disait Aristote, « la totalité est plus que la somme des parties ».

Bernard Dato

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